David Lopez - Fief [critique]

10/12/2017

En plus de sa présence dans la première sélection du prix Renaudot, Fief a été consacré meilleur premier roman français par le magazine Lire dans son palmarès des meilleurs livres 2017 ; le roman de David Lopez trouve là une exposition qui lui faisait défaut jusqu’ici. Récit radical, tant par le fond que par la forme, Fief joue avec les mots et met en scène avec talent une langue composite, à l’image des personnages, jeunes hommes désœuvrés, qui la manient.



Jonas vit seul avec son père, chômeur et fumeur de shit. Le garçon navigue entre la boxe, ses potes, le bédo et Wanda, une fille qui ne le fréquente que dans le but de se voir offrir des orgasmes buccaux-vaginaux, sans jamais rien lui donner en retour. La petite ville où Jonas habite est coupée en deux par des collines qui se font face : d’un côté les tours des quartiers pauvres, de l’autre les luxueuses résidences des familles riches. Entre les deux, la zone pavillonnaire où réside Jonas et sa clique, ce qui fait d’eux des « ni ni ».


LA CULTURE CHEZ LES CAILLERAS

Dans ce Fief, David Lopez réussit le tour de maître de faire entrer la culture dans la vie d’une bande d’ados zonards parlant la rue. Et pas que la culture de la beuh, non, la culture avec un C majuscule, notamment celle de Voltaire et Céline. Et cela au travers du personnage de Lahuiss, celui de la bande qui est passé de l’autre côté, qui est parti en ville faire des études et qui a depuis troqué le jogging et les Air Max contre un pantalon serré et des souliers en cuir. Ce qui ne l’empêche pas de tchecker avec ses potes quand il rentre et de lancer des « Ouais gros, bien ? ».

Quand il se lance dans l’explication de texte de Candide pour ses potes, c’est avec leurs mots qu’il s’exprime, ce qui donne : « Candide t'as vu il est bien, il fait sa vie tranquillement, sauf qu'un jour il va pécho la fille du baron chez qui il vit tu vois, Cunégonde elle s'appelle. Bah ouais, on est au dix-huitième siècle ma gueule. Du coup là aussi sec il se fait tèj à coup de pompes dans l'cul et il se retrouve à la rue comme un clandé ». Ce qui n’est pas sans rappeler Les Boloss des belles lettres du regretté Jean Rochefort. Jubilatoire !

Tout comme l’improbable dictée qu’il leur fera en leur dictant un extrait de Voyage au bout de la nuit. Un court fragment qui ne manquera pas faire réfléchir Jonas sur son sort.


DAVID LOPEZ, UN AUTEUR ATYPIQUE

Boxeur et rappeur, David Lopez a commencé à écrire Fief en master de création littéraire, un « chemin » en vogue dans les pays anglo-saxons mais encore marginal en France (ce cursus universitaire est d’ailleurs très récent puisque crée en 2013 seulement). D’autant plus que s’il avait envie d’écrire, le primo-romancier ne lisait que peu de littérature. Il décide pourtant de se lancer en 2013 après être tombé sur un article des Inrocks intitulé « Peut-on apprendre à écrire ? » mentionnant l’existence en France d’un master de création littéraire. Le style bien à lui qu’il développe alors se trouve fortement influencé par son passé de boxeur et de rappeur, donnant naissance à une prose claquante et rythmée.

Fief est donc un roman au style particulier, un roman qui raconte ce qu’il se passe quand il ne se passe rien, mais un roman réussi et prenant.


Fief
David Lopez
Fief
Seuil - 17/8/2017
256 pages
17,50 €

À Propos de l'auteur

David Lopez a trente-deux ans. Issu du master de Création littéraire de l'université Paris 8, il est emblématique d'une génération d'écrivains venue à l'écriture par des biais neufs et inattendus.

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